Dans Why Generalists Triumph in a Specialized World, David Epstein remet en question un dogme profondément ancré dans le monde professionnel : celui de l’hyper-spécialisation comme clé du succès. En s’appuyant sur des recherches solides et des exemples variés, il démontre que la polyvalence cette capacité à relier des savoirs issus de domaines différents constitue aujourd’hui un avantage compétitif décisif, notamment pour les entrepreneurs.
L’ère du généraliste commence dans les startups
Le récit dominant célèbre le fondateur hyper-spécialiste, expert d’un domaine qu’il maîtrise à la perfection. Pourtant, dans un monde entrepreneurial mouvant, cette logique montre ses limites. C’est précisément la thèse défendue par David Epstein dans Range: Why Generalists Triumph in a Specialized World.
L’auteur, journaliste scientifique reconnu, s’appuie sur une série d’études et d’exemples issus du sport, de la musique et de l’innovation pour démontrer que la polyvalence intellectuelle, longtemps sous-estimée, est une force stratégique. Les entrepreneurs capables de penser « en largeur » en reliant des disciplines éloignées sont souvent ceux qui identifient les opportunités que les spécialistes ne voient pas.
Quand la curiosité devient un avantage compétitif
Epstein distingue deux types d’environnements : les « mondes gentils », où les règles sont claires et les problèmes répétitifs (comme les échecs ou la médecine d’urgence), et les « mondes méchants », où les conditions changent sans cesse. L’entrepreneuriat appartient sans conteste à cette seconde catégorie.
Les fondateurs marocains et africains évoluent dans un écosystème où les repères économiques, technologiques et réglementaires varient rapidement. Dans ce contexte, la spécialisation exclusive devient un piège. La capacité à apprendre vite, à naviguer entre plusieurs domaines finance, marketing, ingénierie, culture produit devient la compétence la plus rare et la plus précieuse.
Epstein montre que les généralistes, loin d’être des touche-à-tout, développent un sens critique et une adaptabilité qui leur permettent de transférer des idées d’un champ à l’autre. C’est souvent ainsi que naissent les innovations de rupture.
La leçon pour les fondateurs : élargir avant d’approfondir
Pour un entrepreneur, Range remet en question la trajectoire classique du « focus » à tout prix. L’auteur plaide pour une phase d’exploration plus longue, où l’on multiplie les expériences avant de se fixer une direction.
Appliqué au Maroc, ce principe éclaire les parcours de nombreux fondateurs de la nouvelle génération : ceux qui ont commencé par le design avant de se tourner vers la tech, ou par la finance avant de se lancer dans la food innovation. Leur force ne réside pas dans une expertise unique, mais dans leur capacité à relier des univers comprendre la psychologie client autant que la logique d’un algorithme.
Epstein montre que les meilleurs leaders ne sont pas ceux qui connaissent tout d’un sujet, mais ceux qui savent poser les bonnes questions et orchestrer des compétences variées autour d’une vision claire.
L’écosystème startup face au mythe de la spécialisation
Le Maroc et l’Afrique connaissent une accélération du nombre de programmes d’incubation et d’accélérateurs. Mais beaucoup continuent de valoriser les profils techniques ultra-spécialisés, parfois au détriment des entrepreneurs généralistes. Range invite à revoir cette hiérarchie.
Les startups africaines les plus résilientes ne se distinguent pas seulement par leur technologie, mais par leur capacité à comprendre les usages, les cultures locales et les contraintes institutionnelles. Ce type de regard transversal est précisément celui qu’Epstein valorise : l’intelligence de contexte, nourrie par la curiosité et la diversité d’expériences.
La leçon est claire : dans un environnement complexe, le généraliste ne perd pas du temps à se disperser, il gagne du terrain en comprenant plus vite les interactions entre les systèmes.
La pensée transversale comme moteur d’innovation
Pour les jeunes fondateurs, Range constitue un plaidoyer pour une forme d’humilité intellectuelle. Il encourage à sortir des silos mentaux, à s’exposer à des domaines inconnus, à apprendre sans objectif immédiat.
Cette approche nourrit la créativité et prépare aux pivots, ces changements de cap fréquents dans la vie d’une startup. Un entrepreneur formé à penser de manière transversale sera plus apte à redéfinir son modèle d’affaires, à repenser son produit ou à détecter un besoin émergent.
Epstein invite à ne pas confondre la vitesse avec la direction : la spécialisation peut accélérer l’exécution, mais seule la vision large permet de savoir si l’on avance dans le bon sens.
Lire pour élargir, élargir pour durer
Range est une lecture libératrice pour toute une génération de fondateurs qui doutent de leur parcours « atypique ». Loin d’être un handicap, l’hétérogénéité de leurs expériences est un capital stratégique.
À l’heure où la formation entrepreneuriale tend à standardiser les approches, David Epstein rappelle une vérité simple : la diversité des savoirs précède la découverte.
Pour les startups marocaines et africaines, confrontées à des marchés en mutation, cette philosophie de la polyvalence n’est pas un luxe intellectuel c’est une condition de survie. Lire Range, c’est apprendre à penser comme un explorateur dans un monde d’experts.