Beaucoup de startups marocaines échouent non pas par manque de technologie, mais faute d’accès au terrain. Selon les retours d’incubateurs et de CRI régionaux, une part significative des projets orientés smart city, mobilité, services publics ou gestion territoriale n’atteint jamais la phase de déploiement, bloquée par l’absence de pilotes, de données locales ou de partenaires institutionnels prêts à tester. C’est précisément ce verrou opérationnel que des dispositifs comme SMART REGION cherchent à lever.
SMART REGION : un format pensé pour réduire le fossé entre innovation et territoires
SMART REGION n’est ni un simple concours d’idées ni un hackathon isolé. Le dispositif, porté par INCUBOOSTER dans le cadre de la 3ᵉ édition du Fonds INNOV INVEST (FII) de TAMWILCOM, s’inscrit dans une logique désormais centrale pour l’innovation territoriale : rapprocher startups, universités et besoins réels des collectivités.
Le choix du format open innovation n’est pas anodin. Les territoires marocains font face à des problématiques très concrètes : mobilité urbaine, gestion des flux, attractivité territoriale, services aux citoyens, transition énergétique locale, digitalisation des administrations ou encore valorisation du patrimoine. Ces enjeux sont identifiés depuis longtemps par les collectivités et les CRI, mais les réponses restent souvent fragmentées ou peu testées à l’échelle locale.
SMART REGION introduit une méthodologie plus directe. D’abord, une conférence de lancement (17 décembre 2025) qui permet de cadrer les problématiques territoriales, d’exposer les attentes des partenaires et de clarifier les contraintes opérationnelles. Ensuite, un hackathon intensif sur deux jours (24–25 décembre 2025) orienté production : équipes pluridisciplinaires, livrables concrets, arbitrage rapide entre faisabilité technique, cadre réglementaire et usage réel.
Pour un entrepreneur, l’intérêt est clair : sortir du discours générique sur la « smart city » pour travailler sur un cas précis, avec des acteurs identifiés, dans un temps court. Cette contrainte est souvent ce qui manque aux projets early-stage, trop longtemps enfermés dans des démonstrateurs abstraits.
L’ancrage universitaire via l’Université Privée de Fès joue également un rôle structurant. Il permet d’intégrer des compétences techniques, des ressources de recherche appliquée et un accès à des profils juniors qualifiés, souvent sous-utilisés dans les projets entrepreneuriaux. Ce type de partenariat est encore rare au Maroc, alors qu’il est largement mobilisé dans des programmes équivalents en Europe ou en Asie du Sud-Est.
Ce que SMART REGION apporte concrètement à une startup marocaine
Pour un entrepreneur, participer à SMART REGION n’a d’intérêt que si le dispositif répond à des besoins précis : validation marché, crédibilité institutionnelle, accès au financement ou accélération du go-to-market. C’est sur ces points que le programme mérite d’être analysé.
Premier levier : la confrontation immédiate au terrain. Les startups qui ciblent les collectivités locales ou les services territoriaux se heurtent souvent à une asymétrie d’information. Les besoins exprimés sont larges, parfois flous, et les processus décisionnels longs. Le challenge permet de transformer un besoin général en un cas d’usage ciblé, avec des contraintes identifiées dès le départ. Cette clarification réduit le risque de développer une solution techniquement aboutie mais inutilisable.
Deuxième levier : la crédibilité. Être sélectionné, puis exposé dans un cadre soutenu par TAMWILCOM et inscrit dans le FII, apporte un signal fort. Dans un marché où la confiance institutionnelle est déterminante, notamment pour les solutions B2G ou B2B2G, ce type de reconnaissance facilite ensuite les discussions avec les CRI, les communes, les agences urbaines ou les établissements publics. Ce n’est pas un financement direct, mais un accélérateur de crédibilité.
Troisième levier : l’alignement avec les mécanismes de financement existants. Le Fonds INNOV INVEST, opéré par TAMWILCOM, reste l’un des principaux instruments publics de soutien aux startups innovantes au Maroc, notamment en amorçage et pré-seed. Participer à un programme labellisé dans ce cadre permet de mieux comprendre les attentes des financeurs publics : gouvernance, traction, structuration juridique, articulation avec les incubateurs ou réseaux labellisés.
SMART REGION offre un cadre d’expérimentation rapide. Beaucoup de startups passent trop de temps à peaufiner leur produit avant toute confrontation réelle. Ici, la contrainte temporelle oblige à prioriser : une fonctionnalité utile vaut plus qu’une solution complète mais invendable. C’est une discipline précieuse, rarement imposée aussi clairement dans les programmes d’accompagnement classiques.
Open innovation territoriale : opportunités réelles et limites à anticiper
Si SMART REGION ouvre des perspectives concrètes, il ne s’agit pas d’un raccourci magique vers le marché public. Les entrepreneurs doivent entrer dans ce type de dispositif avec une lecture réaliste des opportunités et des contraintes.
D’un côté, l’innovation territoriale représente un marché potentiel significatif. Les investissements publics dans la digitalisation, la mobilité et les services urbains progressent, portés par les stratégies nationales de régionalisation avancée et de modernisation des services publics. Les CRI, les collectivités et certains établissements publics sont de plus en plus ouverts à tester des solutions locales, notamment lorsqu’elles sont portées par des acteurs marocains.
De l’autre, les cycles de décision restent longs. Un hackathon ne débouche pas automatiquement sur un contrat. Les startups doivent anticiper des phases de tests, d’ajustements réglementaires et de validation budgétaire. C’est pourquoi SMART REGION doit être vu comme un point d’entrée, pas comme une finalité.
Les projets les plus pertinents sont généralement ceux qui répondent à trois critères : un problème clairement identifié, une solution techniquement simple à déployer et un modèle économique compatible avec les contraintes du secteur public. Les entrepreneurs qui arrivent avec une solution trop complexe ou trop dépendante d’un financement public unique s’exposent à des blocages rapides.
Un autre point clé concerne la propriété intellectuelle et la gouvernance du projet. Dans les dispositifs d’open innovation, il est essentiel de clarifier dès le départ ce qui appartient à la startup, ce qui relève du partenaire et ce qui peut être répliqué ailleurs. Les entrepreneurs doivent poser ces questions tôt, même dans un cadre collaboratif.
La capacité à transformer l’expérience SMART REGION en levier commercial dépendra largement du suivi post-événement. Les équipes qui documentent leurs tests, formalisent leurs résultats et maintiennent le lien avec les acteurs rencontrés maximisent leurs chances de transformer l’essai. C’est souvent là que se fait la différence entre une participation symbolique et un véritable accélérateur de croissance.
SMART REGION ne promet pas une solution clé en main, mais il offre un cadre rare au Maroc : tester vite, sur un terrain réel, avec des partenaires identifiés. Pour les entrepreneurs travaillant sur des solutions territoriales, l’enjeu n’est pas de gagner un challenge, mais de sortir avec un cas d’usage crédible, un réseau institutionnel activable et une compréhension plus fine des contraintes publiques. C’est souvent cette étape, trop souvent négligée, qui conditionne la suite du parcours entrepreneurial.