Le monde des affaires, comme celui de la Bourse, est gouverné par une obsession : prévoir l’avenir. Anticiper le prochain boom, détecter la disruption avant les autres, miser sur la prochaine “licorne”. Mais pour Michael Covel, cette quête est illusoire. Ce qui compte n’est pas d’avoir raison, mais d’être du bon côté du mouvement.
Dans Trend Following, il propose une philosophie d’investissement qui repose non sur la prédiction, mais sur la réaction structurée à l’évolution des marchés. Ceux qui savent reconnaître une tendance et la suivre avec méthode peuvent, selon lui, bâtir des fortunes même dans les crises.
Le cœur du concept : laisser les prix parler
Covel s’appuie sur des décennies d’observations de traders quantitatifs, notamment les légendaires “Turtle Traders” formés par Richard Dennis dans les années 1980. Leur principe fondateur : ignorer les émotions, observer les signaux du marché et agir mécaniquement selon une règle.
Concrètement, cela signifie acheter quand une tendance haussière se confirme, vendre quand elle s’inverse, sans chercher à anticiper. Cette approche systématique élimine les biais psychologiques peur, euphorie, excès de confiance qui ruinent souvent la performance des investisseurs.
Mais au-delà de la spéculation, Covel propose une leçon universelle : les marchés récompensent la discipline, pas l’instinct. Dans l’entrepreneuriat comme dans l’investissement, ce sont ceux qui savent suivre les dynamiques réelles clients, technologies, régulations qui capturent la valeur.
De la Bourse à la stratégie : le “trend following” appliqué à l’entreprise
Transposée au monde de la stratégie, la méthode de Covel devient une philosophie de management adaptatif. Plutôt que de planifier sur cinq ans dans un environnement incertain, il s’agit de repérer les signaux faibles, de tester rapidement et de s’ajuster à mesure que les tendances se confirment.
Cette approche trouve un écho fort au Maroc et en Afrique, où les marchés émergents évoluent à une vitesse imprévisible. Les start-up fintech, edtech ou greentech qui réussissent ne sont pas celles qui ont prévu la tendance, mais celles qui l’ont suivie avec rigueur : observer la traction, ajuster le modèle, amplifier ce qui marche.
Le parallèle avec les OKR (Objectives and Key Results) ou la méthodologie Lean Startup est frappant : toutes reposent sur la capacité à mesurer le réel et à agir selon des données, non des croyances.
Les leçons pour les investisseurs et dirigeants africains
Pour les fonds d’investissement et les incubateurs marocains, le trend following offre une grille de lecture pragmatique : privilégier la discipline d’exécution à la prophétie du marché.
Les structures comme UM6P Ventures, Maroc Numeric Fund II ou Agridata Hub peuvent tirer parti de cette approche pour calibrer leurs portefeuilles selon les signaux de traction réels : adoption client, croissance organique, récurrence du revenu.
Covel rappelle que les grandes réussites de l’investissement, de Warren Buffett à George Soros, ne sont pas des prophètes mais des observateurs. Ils laissent les données parler, et ne s’accrochent pas à leurs convictions quand les faits les contredisent. C’est précisément cette humilité analytique qui manque encore à de nombreux acteurs de l’écosystème africain.
Une philosophie de la lucidité et de la constance
Le trend following n’est pas une stratégie pour s’enrichir vite : c’est une discipline de long terme. Elle exige de la rigueur, une méthodologie de gestion des risques et une acceptation de l’incertitude.
Covel conclut que la clé du succès n’est pas d’éviter les pertes, mais de les contrôler et de laisser courir les gains quand la tendance est favorable.
Dans un monde où la volatilité devient la norme, cette approche offre un cadre mental précieux pour les dirigeants : observer, s’adapter, persévérer. C’est peut-être la meilleure définition du leadership stratégique à l’ère des transitions multiples économiques, technologiques et écologiques.