Forsa : un report d’un an, solution salutaire ou pansement temporaire ?


Le gouvernement a annoncé un report exceptionnel d’un an pour le remboursement des prêts d’honneur du programme Forsa. Si cette décision soulage des milliers de jeunes entrepreneurs, elle révèle aussi les limites structurelles d’un modèle d’accompagnement encore perfectible. Entre bouffée d’oxygène et symptôme d’un écosystème en tension, le débat s’ouvre sur la durabilité de la

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Le gouvernement a annoncé un report exceptionnel d’un an pour le remboursement des prêts d’honneur du programme Forsa. Si cette décision soulage des milliers de jeunes entrepreneurs, elle révèle aussi les limites structurelles d’un modèle d’accompagnement encore perfectible. Entre bouffée d’oxygène et symptôme d’un écosystème en tension, le débat s’ouvre sur la durabilité de la politique publique d’appui à l’entrepreneuriat.

Deux ans après son lancement, Forsa s’est imposé comme le symbole d’une politique volontariste en faveur de l’entrepreneuriat inclusif. Conçu par le ministère du Tourisme, de l’Artisanat et de l’Économie sociale et solidaire, le dispositif a permis à plus de 16 600 projets de voir le jour, générant 21 000 emplois directs et un chiffre d’affaires annuel de 1,6 milliard de dirhams.
Mais derrière ces chiffres positifs, la réalité du terrain reste contrastée. Nombre de jeunes entrepreneurs, en particulier ceux opérant dans le commerce de proximité, la restauration ou l’artisanat, peinent à atteindre leur seuil de rentabilité. Le choc inflationniste, la hausse des coûts d’approvisionnement et les difficultés d’accès aux marchés ont fragilisé ces structures naissantes.
C’est pour répondre à cette situation que le gouvernement a annoncé, le 30 octobre 2025, la possibilité pour les bénéficiaires de reporter d’un an leurs échéances de remboursement. À partir du 1er décembre 2025, les demandes se feront via la plateforme forsa.ma, avec une suspension totale des paiements et un rééchelonnement automatique. Le coût de cette mesure sera intégralement pris en charge par l’État.
Cette flexibilité, saluée par de nombreux porteurs de projets, constitue un souffle de répit dans une période économiquement tendue. Mais elle interroge, en filigrane, la robustesse du modèle Forsa et la capacité du dispositif à garantir une réelle viabilité des projets financés.

– Les causes profondes d’une fragilité persistante :
Les difficultés rencontrées par les bénéficiaires de Forsa ne peuvent être réduites à des erreurs de gestion individuelles. Elles traduisent les limites d’un environnement entrepreneurial où les marges sont faibles, les marchés souvent saturés et la concurrence informelle intense.
Le contexte macroéconomique mondial joue également un rôle déterminant. La hausse des taux d’intérêt, l’instabilité géopolitique et la contraction de la demande intérieure pèsent sur la rentabilité des microentreprises. Pour beaucoup de jeunes entrepreneurs, les premiers mois d’activité servent davantage à amortir les investissements initiaux qu’à dégager des bénéfices.
Mais au-delà du contexte, le modèle d’accompagnement de Forsa soulève des interrogations. Si le financement de départ — un prêt d’honneur sans garantie pouvant atteindre 100 000 DH — constitue un levier décisif, l’encadrement post-financement reste insuffisant. De nombreux bénéficiaires manquent d’un suivi rapproché sur la gestion, la communication commerciale ou la stratégie financière.
En ce sens, le report d’un an ne résout pas les causes structurelles de la fragilité : il les différerait plutôt. Sans renforcement de l’accompagnement, nombre de projets risquent de se retrouver dans la même impasse dès la reprise des remboursements.

– Une mesure à double tranchant pour la crédibilité du dispositif :
Le discours officiel insiste sur la dimension humaine et progressive de la démarche. « L’entrepreneuriat exige du temps et de la persévérance », a déclaré Fatim-Zahra Ammor, ministre de tutelle. « Cette option de flexibilité illustre notre volonté d’accompagner chaque porteur de projet dans la durée. »
L’intention est claire : préserver la confiance et éviter que les entrepreneurs les plus fragiles ne sombrent sous le poids de la dette. Pourtant, sur le plan institutionnel, cette décision soulève des questions de crédibilité.
Près de 12 000 bénéficiaires ont déjà entamé leur phase de remboursement, suivie de près par des partenaires financiers et des sociétés de gestion déléguées. Pour ces acteurs, un report généralisé pourrait être perçu comme un signal de fragilité du portefeuille global, affectant la confiance des investisseurs et la capacité du programme à mobiliser de nouveaux financements.
Dans l’écosystème des politiques publiques, un tel geste reste rare. À l’échelle internationale, les programmes similaires privilégient généralement un appui technique ciblé plutôt qu’un moratoire généralisé. Le Maroc, en choisissant cette voie, assume un pari social et politique : sauver l’élan entrepreneurial avant de consolider sa viabilité économique.

– Le regard du terrain : entre soulagement et prudence :
Chez les bénéficiaires, la mesure suscite un sentiment partagé entre gratitude et lucidité. « Ce report va nous permettre de respirer et de consolider notre activité », confie un jeune artisan de Fès. Pour lui, la priorité est désormais de fidéliser la clientèle et d’investir dans la qualité du produit avant de reprendre les remboursements.
À Casablanca, une entrepreneure dans le commerce de proximité se montre plus réservée : « Le report est une bonne chose, mais il ne changera rien si nous ne sommes pas mieux accompagnés pour vendre et gérer nos charges. »
Ces témoignages traduisent une réalité que les économistes confirment. Selon eux, la résilience entrepreneuriale repose sur trois piliers : un accompagnement individualisé, l’accès à des marchés durables et la formation continue des porteurs de projets. Sans ces leviers, le différé de remboursement risque de n’être qu’un sursis.

– Vers une refonte de l’accompagnement entrepreneurial ?
Le cas Forsa met en lumière un enjeu plus large : la structuration de l’écosystème marocain d’accompagnement des jeunes entrepreneurs. Au-delà du financement, le véritable défi réside dans la maturation des projets et leur intégration dans les chaînes de valeur locales et régionales.
Certains acteurs plaident pour un modèle d’accompagnement hybride, combinant mentorat, formation managériale, et accès facilité aux marchés publics et privés. D’autres suggèrent une meilleure coordination avec les structures existantes, comme l’OFPPT, les CRI ou les incubateurs régionaux.
Le report décidé par le gouvernement pourrait ainsi devenir une opportunité stratégique : celle de réévaluer le dispositif dans son ensemble. Si cette année de pause financière s’accompagne d’une montée en compétence généralisée des bénéficiaires, elle pourrait transformer un simple geste social en accélérateur durable de croissance.

– Un signal pour la politique publique de l’entrepreneuriat ?
Au-delà du cas Forsa, cette décision questionne la philosophie même de l’accompagnement public. Le Maroc multiplie depuis une décennie les dispositifs d’appui à la création d’entreprise — Intilaka, Forsa, Al Moutmir, programmes régionaux — mais leur articulation reste perfectible.
Le report d’un an doit être interprété comme un appel à repenser la cohérence de ces initiatives. Faut-il privilégier la quantité de projets soutenus ou la qualité de leur accompagnement ? Comment assurer le suivi des bénéficiaires sur trois à cinq ans, au-delà de la simple phase de lancement ? Et comment mobiliser le secteur privé dans cette logique de pérennisation ?
Ces interrogations deviennent cruciales à l’heure où l’emploi des jeunes demeure l’un des défis les plus pressants du pays. Le programme Forsa, avec son approche inclusive et son ancrage territorial, conserve un potentiel considérable — à condition d’ajuster son modèle d’accompagnement et de gouvernance.

– Une bouffée d’oxygène qui doit se transformer en stratégie :
La décision de reporter les remboursements d’un an constitue indéniablement une mesure salutaire pour des milliers de porteurs de projets. Elle incarne la volonté politique d’accompagner la jeunesse entrepreneuriale face aux turbulences économiques et d’éviter une vague de défaillances.

Mais pour que cette décision produise un effet durable, elle doit s’inscrire dans une vision stratégique plus large : celle d’un entrepreneuriat marocain mieux formé, mieux encadré et mieux connecté aux chaînes économiques locales.
Le véritable succès du programme Forsa ne se mesurera pas au nombre de prêts accordés, mais à la capacité du pays à transformer ces projets en entreprises viables, créatrices de valeur et d’emplois durables. C’est à cette condition que le report d’un an pourra être perçu non comme un simple sursis, mais comme le tremplin d’une nouvelle phase de maturité pour l’entrepreneuriat marocain.

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